> Le prochain roman de Jean-Christophe Grangé, intitulé Le Serment des Limbes, sort début mars !

 

 

   

   


Albin Michel, 5 avril 2004.
Même s'il reconnaît qu'Internet n'est pas un de ses passe-temps favoris, Jean-Christophe Grangé a parcouru les pages du site Rivières Pourpres et apprécié le travail que cela représentait. Il a donc très gentiment accepté de m'accorder une interview chez Albin Michel.

 

 

Première Partie de l'interview :
Les débuts d'un écrivain

Nicolas - Le Vol des Cigognes (1) est paru en 1994. Dix ans se sont écoulés depuis. Le Vol des Cigognes a connu un succès relatif au début, Les Rivières Pourpres (2) vous ont apporté la consécration, vous avez fait des petits détours par le cinéma. Y'a-t-il eu pour vous dans cette décennie un épisode particulièrement marquant ?

Jean-Christophe Grangé - Tout d'abord, ce qui me marque aujourd'hui c'est de voir à quel point les gens aiment les Cigognes. J'ai beau écrire de nouveaux livres, pour beaucoup de personnes, Le Vol des Cigognes reste le livre qui les a le plus marqués.
A l'heure actuelle, sur les Cigognes, on est en attente du film, avec un réalisateur qui s'appelle Gilles Mimouni et qui a réalisé L'appartement. Pour l'instant, je n'ai pas de nouvelles mais ce projet me tient à cœur. C'est un film énorme, et j'espère qu'il va se faire le mieux possible parce que le livre est, pour beaucoup de personnes, vraiment le meilleur.
Pour ce qui est des grands événements, bien qu'il me soit en effet arrivé beaucoup de choses pendant ces dix années, la chose qui m'a vraiment marqué le plus c'est en fait le moment avant les Cigognes : quand les éditeurs m'ont appelé pour ce roman. Le grand pas pour moi, ça a été de passer du type qui avait écrit un livre dans son coin, à l'auteur publié. Ca a été le grand grand choc. Je me souviens, au début, les éditions Robert Laffont m'avaient téléphoné. C'était un grand grand choc. Beaucoup plus que le succès des Rivières Pourpres. Quand Robert Laffont m'a téléphoné, puis ensuite Albin Michel, puis Gallimard, pour moi c'est ça qui a été le grand succès, le grand pas. Parce que, même si les Cigognes sont passées un peu inaperçues, je vivais entouré de gens qui me disaient que le livre était super et que je n'avais plus qu'une chose à faire, c'était d'essayer d'écrire un nouveau roman de ce niveau-là.
Donc, en fait, j'ai été dans ce stress d'écrire un deuxième roman. J'étais journaliste et en général un journaliste, en relevant ses manches, peut écrire un roman : il trouve un thème, il écrit, il bricole un roman policier. Mais le grand moment de vérité, c'était d'écrire le deuxième. J'ai donc eu beaucoup de trac et d'angoisse pour écrire Les Rivières Pourpres, si bien que j'ai mis un long moment à le faire…
En plus, ce qu'il faut savoir, c'est qu'après les Cigognes, bien que le roman n'ait pas rencontré un vrai succès, les gens du cinéma m'avaient déjà repéré. Donc, déjà, on m'a proposé d'écrire des choses. Déjà, on m'a donné de l'argent donc déjà, ma vie a changé, même si je n'avais pas encore rencontré le succès. J'étais déjà pour le milieu, que ce soit dans l'édition ou dans le cinéma, un type prometteur qui avait, entre guillemets, du succès.
Ainsi, quand il y a eu le grand miracle avec Les Rivières Pourpres, c'était génial parce que tout à coup il y avait le public, mais ça n'a pas été le vrai tournant. Le vrai tournant, ça a été le moment où on m'a publié : l'instant de vérité.

 

N. - Les Rivières Pourpres, vous l'avez dit, ont été le plus gros succès auprès du public à ce jour. N'avez vous pas aussi l'impression que l'univers que vous aviez créé dans ce roman vous a au final un peu échappé, notamment à travers le tournage de la trilogie produite au cinéma par Alain Goldman (3) ?

J.-C. G. - En fait, il faut faire une grande distinction entre ce qu'on fait en tant qu'auteur de mots et de papier, et puis le développement qu'il peut y avoir. Il faut bien savoir (parce que tout le monde me pose cette question-là sur Les Rivières Pourpres) que c'est déjà, avant tout, une immense chance qu'un film se fasse sur votre livre.
Très souvent, les autres producteurs prennent une option, en payant 10% de la somme qu'ils devraient payer en achetant le livre, et ont le livre pendant 2 ans pour essayer d'en faire un film : si ça ne marche pas, ils arrêtent. J'ai eu cette chance inouïe que le film se fasse, que ce soit Mathieu Kassovitz qui le fasse et qu'il ait un succès planétaire, ce qui a été un moteur de succès pour moi dans de nombreux pays. Mes livres étaient sortis et avaient rencontré un petit succès d'auteur français, mais, alors, poussé par le film, Les Rivières Pourpres ont rencontré un succès incroyable, notamment en Italie et en Allemagne. Donc, c'est avant tout du positif.
Ensuite, sur ce qui s'est passé après, où même sur le film, il y a deux positions : il y a des auteurs complètement obsédés par ce qu'on va faire de leur bouquin et des auteurs, comme moi, qui, entre guillemets, n'en ont pas grand chose à faire. Personnellement, je ne retiens que le fait que le livre était assez riche, ou avait un matériau assez original, pour qu'on en fasse un premier film et même, maintenant, un deuxième. Si vous voulez, moi qui ai toujours été proche du cinéma, je pense tout de suite à des séries comme L'Arme Fatale, ou des choses comme ça qui sont quand même, quoi qu'on pense des films, qu'on aime ça ou pas, des modèles géniaux de cinéma parce qu'il n'existe rien de plus prestigieux pour un auteur que de donner naissance à un héros qui va se développer. Même si le héros, à travers le monde du cinéma, évolue beaucoup.
Bien sûr, le personnage qu'a joué Jean Reno dans Les Rivières Pourpres 2 n'a plus grand chose à voir avec le personnage que j'avais dépeint dans mon livre. Mais franchement, pour prendre des exemples exagérés, dans le cas de Maigret : quand on voit tous les acteurs qui l'ont joué dans tous les films qui ont été tournés sur Maigret, on est très loin du Maigret de Simenon.
Ce qui compte, c'est d'avoir donné l'étincelle à quelque chose qui se soit développé au cinéma. Moi je trouve ça génial, et je suis tellement passionné et admiratif du cinéma que tout ce qui se passe dans ce domaine-là me fait plaisir. Et je suis, encore une fois, hyper privilégié.

 

N. - Après l'épisode des Rivières Pourpres, vous avez écrit Le Concile de Pierre (4), roman pour lequel l'accueil de la critique et du public a été plus mitigé. Comment l'avez-vous ressenti et comment cela a-t-il pu influencer l'écriture du roman suivant ? Y'a-t-il eu, avec L'Empire des Loups (5) , une volonté de revenir à un polar plus traditionnel pour répondre davantage aux attentes du public ?

J.-C. G. - Là aussi, il y a deux attitudes. Il y a des auteurs qui suivent beaucoup l'avis du public : s'ils voient que dans une certaine direction ce qu'ils écrivent est moins apprécié, alors ils reviennent à une autre direction. Et des personnes, comme moi, qui font ce qu'elles ont en tête. Je ne cherche pas à savoir ou à essayer de deviner ce que va aimer le public, parce que dans ce cas, ce n'est plus de la littérature, c'est de la publicité.
Mais ce n'est pas tellement ça qui m'a frappé. Il y a eu deux choses sur Le Concile de Pierre. D'abord, le fait que j'étais encore plus stressé que pour écrire Les Rivières Pourpres à cause, justement du succès des Rivières Pourpres. Là j'ai vraiment été gêné tout du long de la rédaction du Concile par le succès du précédent roman. Il y a quelque chose qui m'a oppressé. A chaque mot que j'écrivais, je me demandais si ça allait plaire à tous ceux qui avaient aimé Les Rivières Pourpres. Et ça, c'est très mauvais : je n'avais pas la spontanéité naturelle qu'il faut quand tu écris un livre.
Et l'autre chose - et là j'ai été le premier surpris - c'est que c'est un livre qui flirte avec le fantastique. Personnellement, ça ne me gênait pas du tout, encore une fois à cause du cinéma. Au cinéma, on passe très facilement au fantastique et il y a des choses tout à fait aberrantes dans le cinéma fantastique qui sont considérées comme des choses réelles et tout le monde le gobe. Mais je me suis aperçu que dans le domaine du roman, et notamment du roman policier, les lecteurs vont en fait plutôt chercher un univers rationnel. Et que, en général, ils cherchent le contraire de ce que j'ai fait dans le Concile, c'est-à-dire qu'ils cherchent des choses assez improbables au début, des événements inexplicables qui sont à la fin expliqués d'une façon rationnelle. Et moi dans le Concile, j'ai plutôt démarré par une intrigue classique policière qui explose dans quelque chose de complètement irrationnel. Et ça, je vois que ça a beaucoup gêné les gens. Mais contrairement à ce qu'on peut croire, du point de vue des vente et même globalement de la critique, ça n'a pas du tout été si négatif que ça.
Et puis, le film… Est-ce qu'il va se monter ou pas ? C'est le grand mystère parce que c'est UGC qui a acheté les droits. Là, je parle au présent, je n'en sais rien moi-même. Mais il s'agit des producteurs de Blueberry, qui traitait du chamanisme et qui n'a pas eu beaucoup de succès…. Alors est-ce que ça va les dégoûter du chamanisme ou pas, je ne sais pas, mais ça n'est pas très porteur pour Le Concile de Pierre
Pour résumer, Le Concile de Pierre a été pour moi avant tout un exorcisme. J'ai été soulagé d'avoir écrit un troisième livre après le succès des Rivières. Et quand j'ai écrit les Loups, j'étais beaucoup plus à l'aise. Et La Ligne Noire (6), je n'en parle même pas. Il a fallu que je fasse un livre difficile à accoucher, après le succès des Rivières, pour me retirer le trac.

Deuxième partie de l'interview
L'actualité de J.-C. Grangé

 

1. Le Vol des Cigognes - paru aux éditions Albin Michel en 1994.
2. Les Rivières Pourpres - paru aux éditions Albin Michel en 1998.
3. Au cinéma, le roman Les Rivières Pourpres a été adapté par Mathieu Kassovitz en 2000 (lien vers la page consacrée au film). Alain Goldman, le producteur, a décidé de lancer deux autres films, basés sur les aventures de Pierre Niémans, le héros créé par J.-C. Grangé. Les Rivières Pourpres 2 (Les Anges de l'Apocalypse) est sorti au cinéma en février 2004, et Les Rivières Pourpres 3 (Les Armes de l'Ombre) est en cours d'écriture. Jean-Christophe Grangé n'est en aucune façon lié à ces deux suites.
4. La Concile de Pierre - paru aux éditions Albin Michel en 2000.
5. L'Empire des Loups - paru aux éditions Albin Michel en 2003.
6. La Ligne Noire - à paraître aux éditions Albin Michel en mai 2004.

 

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